3 questions à Francis Demoz : « Être tous mobile est un enjeu d’apprentissage collectif »
Le 7 février dernier, Francis Demoz a animé avec l’antic Pays basque une conférence « Mobilité et numérique » dans le cadre de Mouvement, une initiative portée par la Communauté d’Agglomération Pays Basque pour présenter aux citoyens les nouveaux services de mobilité sur le territoire.
Journaliste, rédacteur en chef de TEC mobilité, M. Demoz a pu observer comment le numérique avait révolutionné le secteur de la mobilité et nous en a fait apprécier les contours. Avant de regagner Paris, il a accepté de se prêter au jeux des 3 questions.
Francis Demoz, après votre visite de notre territoire et les quelques échanges que vous avez pu avoir ses acteurs, quelles impressions en retirez-vous ?
La conférence à laquelle j’ai eu le plaisir d’intervenir traitait en effet de la place du numérique dans la mobilité et plus précisément de la manière dont le numérique est en train de bouleverser notre façon de nous déplacer, qu’il s’agisse de billettique ou d’information aux voyageurs, de nouvelles mobilités ou de mobilités partagées (covoiturage, vélo en libre- service).
J’ai eu l’occasion d’évoquer le froissement d’innovations et de concepts émergents qui sont expérimentés ici ou là et j’ai pu constater lors de cet évènement que votre territoire participe activement à cette transformation de la mobilité avec de nombreux projets en cours et un village des innovations dans lequel on pouvait côtoyer des tests de vélos à hydrogène, ou encore des gyropodes, ces engins de déplacement personnalisés.
Le projet de Trambus par exemple, est une traduction concrète des grandes transitions sociétales en cours. Il répond à la fois aux enjeux de la transition écologique (véhicule 100% électrique) mais aussi aux enjeux de la transition numérique qui fait entrer notre société dans le monde des données : information en temps réel, billettique prenant en compte à terme les nouvelles technologies de paiement et de validation (Carte bancaire sans contact, Open payment, QR codes).
Lors de votre intervention, vous avez insisté sur le fait qu’on ne naissait pas mobile mais qu’on le devenait, qu’il fallait en somme en acquérir toutes les compétences. Pouvez-vous en détailler quelques-unes ?
Lire une carte, se repérer dans la ville, comprendre un réseau de transport ou utiliser une application smartphone n’a rien d’inné mais nécessite d’un ensemble de compétences et de savoir-faire. La mobilité n’est pas uniquement une affaire de solutions de transports, c’est aussi la capacité à pouvoir comprendre le système de transports en place. Être mobile suppose de disposer de moyens de transport mais surtout d’être en capacité de pouvoir s’en servir. Se repérer dans l’espace public, savoir utiliser une application de moyen de paiement, à l’aide de son smartphone ou tout simplement demander son chemin, relève de compétences acquises.
Les exemples de jeunes n’étant jamais sortis de leur quartier ou habitant sur le littoral mais n’ayant jamais vu la mer sont nombreux. Chez les seniors, prendre le bus suppose de savoir l’utiliser, de disposer d’un titre de transport, de savoir où se trouve le bon arrêt, ou de connaitre les horaires, et cette seule activité relève parfois d’une véritable mission de survie.
L’inégalité en matière de mobilité dépend de nombreux facteurs : nous n’habitons pas tous le même territoire, nous ne sommes pas tous dans la même situation sociale et professionnelle, nous ne disposons pas tous du même budget pour nous déplacer, nous n’avons pas tous le même âge ni la même santé et enfin nous n’avons pas tous « les mêmes compétences ».
De fait, l’inégalité en matière de mobilité est cognitive. Maitriser sa mobilité, c’est devenir autonome. La mobilité relève ainsi de l’apprentissage, à tout âge et pour tous. Être tous mobile est un enjeu d’apprentissage collectif.
A l’échelle d’un territoire, comment pourraient s’organiser des lieux d’apprentissages de ces compétences afin d’aider les citoyens à mieux gérer leur mobilité ? Quels types d’expérimentation pourraient être menées ?
Tout se joue à l’échelle des territoires, certains outils comme les plates-formes de mobilités permettent de diagnostiquer les enjeux et de proposer des solutions efficaces.
Toutes les initiatives issues de l’économie sociale et solidaires sont intéressantes, je pense notamment au rôle et aux services que jouent les garages solidaires. D’autres expérimentations peuvent être menées dans le cadre du service civique par exemple avec des ambassadeurs de la mobilité.
La formation des conseillers en mobilité constitue un enjeu majeur. Le laboratoire de la mobilité inclusive et l’École d’Urbanisme de Paris par exemple, se sont ainsi associés pour créer en 2016 le Diplôme Inter-universitaire de « Conseiller Mobilité Insertion » avec pour ambition de favoriser la montée en compétences et surtout en reconnaissance, des professionnels qui interviennent chaque jour pour la mobilité des publics les plus fragiles.